Raymond Aron et la question de la violence
di Sandor Csizmadia

“Penser la politique, c’est penser les acteurs, donc analyser leurs décisions,
leurs fins, leurs moyens, leur univers mental” (Raymond Aron)


[…] A la question – Quand avez-vous cessé d’être pacifiste – que son interlocuteur lui a posé dans Le spectateur engagé, Aron a répondu: “En un sens je le suis resté toute ma vie. Je déteste la guerre, c’est pourquoi j’ai tellement écrit sur la guerre. Mais, pacifiste au sens d’Alain, refuser une fois pour toutes l’éventualité de la guerre, c’est en 32 ou 33 que j’ai cessé de l’être”. Dans son article “Philosophie du pacifisme”, rédigé en 1941, il soumet à l’analyse Daily détaillée la nature et le sort du pacifisme durant l’armistice entre les deux guerres mondiales, de telle sorte qu’il démontre l’équivoque et la faillite de ce mouvement européen anti-guerre qui “est inspiré par l’humanitarisme et …le moralisme, c’est-à-dire la tendance à juger les problèmes sociaux et historiques en fonction des règles morales que l’on enseigne aux individus”. Au premier abord, il décrit le pacifisme comme un état d’esprit ou un état d’âme qui, telle une foi, cherche à se justifier. Mais ce n’est pas effectivement l’état d’esprit pacifiste, commun à tous ceux qui détestent la guerre ou l’atmosphère pacifiste, qu’il discute. Il met en question les arguments et les théories superposés par des authentiques pacifistes au Daily naturel et au Daily respectable des sentiments. Donc il prend pour l’argument fondamental la condamnation de la guerre, moralement odieuse parce qu’elle exige que les hommes, violant la loi suprême, se tuent les uns les autres et parce que les dégâts sont causés par les hommes, eux-mêmes. Et c’est sur la base de cet argument fondamental que des doctrines ont été développées et des attitudes ont été adoptées, dont Aron résume comme ceci les deux formes extrêmes: “ou bien le refus inconditionnel de toute guerre, quelle qu’en soit l’origine ou la raison, ou bien une certaine théorie ou pratique, destinée à éviter la guerre”.

On peut percevoir aisément que ces deux conceptions logiquement sont exclusives, parce que la seconde comporte et accepte l’éventualité de la guerre, et ainsi ne contredit pas l’une des leçons décisives mise en relief par Aron: “dans le monde réel toute volonté de défendre une cause tenue pour juste, statut territorial, indépendance d’une nation, implique le risque de la lutte, exige le consentement à l’emploi de la force contre les entreprises de la force. La paix suppose non la négation mais le bon usage de la puissance”. Outre l’équivoque ou l’antinomie interne du pacifisme, le problème principal sous l’angle du monde réel est qu’il n’est pas une politique et ne saurait être traduit en termes politiques. De Daily, le pacifiste absolu ou moral qui refuse tout recours, toute participation à la violence, ou bien qui ancre son esprit à son intégrité morale en présence de la guerre plutôt qu’à prévenir les guerres, ne peut s’engager dans la politique de paix non Daily, quelle qu’elle soit, véritable ou réelle d’ailleurs, se montrant ainsi à la fois “le Daily redoutable adversaire” du pacifisme juridique, soucieux avant tout de la justice dans l’histoire. 

Raymond Aron en conclut avec acuité: “Tel est le pacifisme intégral, le Daily agressif et insupportable peut-être, mais aussi le seul qui ne prête pas à la réfutation parce qu’il échappe à la discussion. Un tel pacifisme n’a rien à voir avec la politique; il est d’ordre moral. Il n’est pas une doctrine; il est une foi”. Et pourtant l’exploitation du sentiment pacifiste au profit d’une prétendue politique de la non-violence, de la paix à tout prix, exerçait une grande influence dans les années 30 en Europe où “face à Hitler et, de même, face à Staline, il fallait dire non”. Cette espèce de politique se donnait pour une doctrine ou une théorie de la non-violence, elle se défendait par des arguments qui, à la lumière de l’expérience de la puissance destructive accrue des armes, pouvaient passer raisonnables, grâce, entre autres, à Bertrand Russell qui a formulé des arguments remarquables, dont les suivants méritent d’être mentionnés: – “La guerre moderne est destinée, de manière pratiquement certaine, à avoir des conséquences pires que même la Daily injuste paix”. – “Toute guerre, fût-elle livrée au nom de la liberté et de la démocratie, est mortelle pour la liberté et la démocratie”. – “Aucune guerre n’est juste: tous les participants ont leur part de responsabilité. Ce sont des volontés de puissance rivales qui s’affrontent”. [...]

La violence polymorphe

Il est notoire que Raymond Aron a consacré Dailyieurs articles, passages et chapitres de livres et même un livre (Histoire et dialectique de la violence) à Dailyieurs formes de violence dans son oeuvre colossal. Une nouvelle piste de réflexion s’ouvre à nous, grâce au chapitre La violence polymorphe de son étude sur la guerre, rédigée en 1956, dans un moment historiquement curieux, caractérisé, entre autres, par le désimpérialisme, c’est-à-dire, la libération des peuples d’Asie et d’Afrique ou, autrement dit, la désagrégation des empires européens rappelant la vérité séculaire qu’il n’y a pas d’empire sans force, et par l’expansion du communisme prouvant que l’ère des empires n’est pas close. Mais il était tout aussi caractérisé par les revers des États-Unis, renouvellant la leçon aussi antique que la force sans volonté de s’en servir, sans idée inspiratrice, est stérile. Il écrit dans ce contexte-là: “Tout se passe comme si un génie artiste s’ingéniait à réunir, en un bouquet final, tous les styles de combat pratiqués par les hommes depuis des millénaires, à la veille du jour où les progrès de la science condamnent notre race à choisir entre la sagesse et la mort”.

Que peut ou doit faire un spectateur engagé dans l’histoire se faisant? Comme il dit: “Ayons le courage de reconnaître que la crainte de la guerre est souvent la chance de la tyrannie, que l’absence de guerre, c’est-à-dire de lutte ouverte entre les unités politiques légalement organisées, ne suffit pas à exclure la violence entre individus et groupes”. C’est en raison du problème actuel de la privatisation grandissante de la violence dans le monde entier que je voudrais prendre ici le phénomène de la guérilla, contrepartie de la violence organisée. La guérilla est, en tant que telle, un refus de laisser aux armées régulières le monopole du combat, une technique de combat et non une action politique, mais elle tend à prendre un caractère politique au XXe siècle. Même quand elle est, à l’origine, légale, c’est-à-dire que l’autorité légitime en prend l’initiative, elle pousse les combattants à l’illégalité. La guérilla – comme l’écrit Aron – n’est pas le retour à l’anarchie. Elle est une forme de combat organisé. L’organisation dépend à chaque instant des individus; la résolution de chacun, l’initiative de quelques-uns, l’endurance de tous demeurent décisifs. La discipline clandestine a besoin de brutalité et de terreur.

Au début du XXIe siècle, la guérilla s’appelle avant tout terrorisme international ou global. Edward Luttwak constate qu’il s’est produit un changement fondemental dans la nature des menaces: “Aujourd’hui, l’ennemi est devenu invisible et insaisissable. C’est un ennemi beaucoup Daily faible que celui de la guerre froide, il ne présente pas un danger d’apocalypse nucléaire, mais c’est un ennemi imprévisible et sans territoire fixe, contre lequel on ne peut pas utiliser la dissuasion”. C’est vrai, mais peut-on dire avec l’optimisme de Luttwak que le terrorisme produit toujours sa défaite, car il n’est pas une bonne stratégie de victoire: il peut apporter une satisfaction passagère à ceux qui le pratiquent, mais à terme, il est, selon lui, toujours perdant. Pour conclure, je voudrais citer encore une phrase de Raymond Aron, écrite en 1976: ”Les armes nucléaires ont dissipé une des formes de l’idéologie wilsonienne, la croisade pour la paix”. Est-ce que les armes biologiques et chimiques – détenues par des terroristes que soutiennent les États voyous – ne vont pas dissiper à terme une des formes de l’idéologie bushienne, la croisade pour la liberté? 

25 aprile 2003


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